Courtier, Ordre de remplacement et 3ème usage du courtage
1. En matière d’assurance, un client peut parfois souhaiter charger d’intermédiaire d’assurance (ordre de remplacement sans résiliation) ou parfois changer d’intermédiaire d’assurance et d’assureur (ordre de remplacement avec résiliation).
2. A l’occasion du changement d’intermédiaire, se pose la question du sort des commissions. A ce propos, l’usage n°3 du courtage d’assurances terrestres dispose que « lorsque le remplacement est accordé à un nouveau courtier porteur d’un ordre de remplacement non accompagné d’une dénonciation régulière de la police à remplacer, le courtier créateur conserve son droit à la commission sur toutes les primes du nouveau contrat à concurrence du chiffre de celles qu’il a apportées ».
Concernant les contrats d’assurance vie individuel (avec valeur de rachat) et les contrats de capitalisation, la question du sort des commissions entre le courtier apporteur des contrats d’origine et le nouveau courtier détenteur d’un ordre de remplacement a donné lieu à de nombreux différends. En effet, le courtier apporteur avait un droit à rémunération non seulement sur la prime initiale mais encore sur toutes les primes qui sont la conséquence des clauses de police d’assurance qu’il a fait souscrire. Son droit à la commission dure aussi longtemps que l’assurance elle-même, notamment lorsque la police se continue par reconduction tacite ou expresse, ou lorsqu’elle est renouvelée ou remplacée directement par l’assuré auprès de la Compagnie. Depuis son origine, cet usage prévoit également le droit à rémunération du courtier qui a fait souscrire le contrat d’assurance vie même si le client part et est suivi par un autre courtier ou CGP.
3. La jurisprudence avait certes statué sur l’opposabilité des usages du courtage mais dans un contexte particulier. A l’occasion d’une contestation de la forme de la résiliation de son contrat d’assurance par l’assuré, qui ne respectait pas la formalité substantielle de l’envoi d’une lettre recommandée conformément à l’article L.113-12 du code des assurances, la Cour de cassation a jugé que si la résiliation était alors irrégulière, le courtier d’assurance conservait – en vertu de l’usage n°3 – son droit à commission sur les polices irrégulièrement résiliées (Cass. 1ère civ. 15 mai 2015, n°14-11.894) et ce sur le fondement de l’article 1134 du Code Civil.
4. Des discussions avaient déjà lieu sur la pertinence de cette règle de créancier des commissions en distinguant la commission d’apport et celle de gestion : à quel titre le courtier apporteur pourrait-il continuer à percevoir une commission de gestion sur un client et un contrat qu’il ne gère plus.
Ensuite, la transposition[1] en droit français de la directive « distribution assurance »[2] impose désormais que les distributeurs ne soient pas rémunérés « d’une façon qui contrevienne à leur obligation d’agir au mieux des intérêts du souscripteur ou de l’adhérent »[3]. Aussi poursuivre le versement d’une commission au courtier apporteur, alors même que celui-ci ne rendrait plus aucun service tant au client qu’à la compagnie, pourrait entrainer pour l’assureur une violation des dispositions de l’article L. 522-4 du code des assurances.
5. C’est dans ce contexte que l’ANCIA (Association nationale des conseils et intermédiaires d’assurances, composée de l’AGEA, de l’ANACOFI et de Planète CSCA) a adopté le 23 octobre 2019 une position commune concernant le 3ème usage du courtage, à laquelle se sont jointes la CNCEF Assurance et la Compagnie des CGP.
Désormais, en présence d’un ordre de remplacement en matière de contrat d’assurance-vie au profit d’un nouveau courtier, le courtier qui a conclu initialement ledit contrat aura droit à une indemnisation à hauteur de 18 mois de commission versée soit directement par le courtier entrant au courtier sortant, soit par compensation via la compagnie d’assurance, avec l’accord du nouveau courtier.
Pour sa part, la CNCGP ne partage pas complètement la position commune. Une fourchette d’indemnité comprise entre 12 et 24 mois est préférée puisqu’elle devrait – ce qui paraît logique – être proportionnelle au travail antérieur du courtier créateur.
Cette position commune a été transmise à la Fédération Française de l’Assurance (FFA) pour être étudiée par ses membres et, pourquoi pas, aboutir ou non à une modification des conventions de distribution. Affaire à suivre ….
Me Alain CURTET
Avocat au Barreau de PARIS
[1] – Ordonnance n°2018-361 du 16/5/2018 et décret n°2018-431 du 01/062018 relatifs à la distribution d’assurance
[2] – Directive européenne n°2016/87 du 20/01/2016 sur la distribution d’assurances